Bien sûr, en apparence, le triomphe d’Angela Merkel est total. Elle a obtenu, la semaine dernière, le ralliement de 25 Etats membres de l’UE au pacte de rigueur fiscale qu’elle a réclamé pour résoudre la crise de l’euro. Les performances macroéconomiques de l’Allemagne ne laissent pas d’impressionner.
Derniers indicateurs parus : le mois dernier, le chômage a encore reculé, en données corrigées, à 6,7 % de la population active ; le baromètre IFO, qui mesure le moral des entrepreneurs, a grimpé en janvier pour le troisième mois consécutif ; le moral des consommateurs est au diapason, au plus haut depuis dix mois. Les dépenses des ménages, longtemps déprimées par l’effort de compétitivité fourni dans la décennie 2000, assureront la croissance de 2012. Nicolas Sarkozy n’a de cesse de présenter l’Allemagne comme le modèle à suivre. Après la dégradation de la France, l’Allemagne est le seul pays de la zone euro à conserver à la fois un triple A et une perspective stable chez Standard & Poor’s. Le « Merkozy » de 2011 est déséquilibré. Mario Monti, auréolé de son passé de commissaire européen et de sa réputation de sérieux, cherche bien à lui substituer un « Merkonti », directoire à trois dans lequel il pourrait faire entendre sa voix. Mais, en vérité, c’est Angela Merkel qui donne le « la ».
Ce qui n’a pas que des avantages, loin de là. D’abord, sur un continent encore marqué par les conflits du XX e siècle, tout ce qui est perçu comme une volonté hégémonique de l’Allemagne passe très mal. On l’a encore observé la semaine dernière, quand le ministère des Finances allemand a lancé l’idée de mettre la Grèce sous la tutelle d’un « commissaire » chargé de contrôler des finances publiques hellènes visiblement hors de contrôle. L’initiative a provoqué un tollé, non seulement à Athènes, mais aussi chez ses partenaires européens : le Premier ministre luxembourgeois l’a jugée « inacceptable », le chancelier autrichien « vexante ». La chancelière a dû rétropédaler, estimant à Bruxelles que « cette discussion n’a pas lieu d’être ». Ce qui n’a pas empêché l’eurosceptique britannique Nigel Farage, au Parlement européen, de créer un incident en comparant cet éventuel « commissaire à la rigueur » à un « Gauleiter ». Angela Merkel sait qu’elle avance toujours en terrain miné.
Par ailleurs, en tant que chef de file de la zone euro, elle doit en ce moment endosser un nouvel habit qu’on imagine assez inconfortable : celui de responsable des relations investisseurs pour le Fonds européen de stabilité financière (FESF). En visite officielle à Pékin la semaine dernière, elle a dû, pour parler clair, faire de la « retape » auprès des dirigeants chinois pour qu’ils s’engagent dans les mécanismes d’« optimisation » du FESF. Le quotidien économique « Handelsblatt » est allé jusqu’à évoquer un « voyage à Chinossa ». Une pénitence d’autant plus humiliante que le gouvernement chinois s’est contenté d’exprimer un intérêt poli, sans engagement chiffré.
Enfin, l’insolent dynamisme de l’économie allemande accroît la pression sur Berlin pour un renforcement des mécanismes de soutien à l’euro. Christine Lagarde, en visite dans la capitale allemande fin janvier, a ajouté sa voix au concert de ceux qui réclament plus de moyens pour le futur mécanisme européen de solidarité (MES). Berlin, jusqu’ici, a simplement consenti à verser plus rapidement que prévu sa part au capital du nouveau fonds, qui doit entrer en fonction cet été. Mais de là à en augmenter la force de frappe, ou à la combiner avec les ressources du FESF, il y a un pas, qui pourrait heurter, de nouveau, le Bundestag. Car la politique européenne de la chancelière a un impact significatif sur l’échiquier domestique, bien entendu.
Les députés ne sont plus déchaînés comme ils pouvaient l’être, à l’automne dernier, quand on leur a demandé de se prononcer, dans l’urgence, sur des garanties financières astronomiques. Mais le sauvetage de l’euro occupe toujours massivement l’espace médiatique. Et tout nouvel effort demandé à l’Allemagne -ou à la BCE, via le plan d’aides grec – risque de relancer la polémique. Le gouverneur de la Bundesbank, accessoirement ancien conseiller économique de la chancelière, a sévèrement critiqué le nouveau traité intergouvernemental, qui selon lui laisse encore « trop de marges de manoeuvre » aux Etats membres. A l’inverse, l’opposition reproche à la chancelière de trop privilégier la rigueur budgétaire, au détriment de la croissance. La ligne sur laquelle Angela Merkel peut avancer est décidément bien mince…
Or, il y a tout lieu de penser que la campagne législative de 2013 sera placée sous le signe de l’euro. La chancelière a certes retrouvé sa forte popularité de 2009 (64 % d’opinions favorables), suite à son activisme européen et à l’embellie économique. Mais sa popularité personnelle ne rejaillit que partiellement sur les Unions chrétiennes, créditées de seulement 36 % des intentions de vote. Son allié actuel, le Parti libéral, s’il ne sort pas rapidement de sa crise, pourrait même ne pas entrer au prochain Bundestag. En fonction des résultats de la gauche radicale et des Pirates, sociaux-démocrates et Verts peuvent donc espérer revenir, ensemble, au pouvoir. D’autant plus que les Européens appelés aux urnes, ces derniers mois, ont souvent choisi l’alternance. Une tendance qui, si l’on en croit les sondages, pourrait se confirmer en France au printemps prochain. Si Angela Merkel a annoncé son soutien au candidat Sarkozy, ce n’est pas seulement en raison des différences majeures qu’elle a avec François Hollande, sur les euro-obligations, le rôle de la BCE ou le nouveau traité. Alors que les débats politiques nationaux se sont considérablement européanisés, elle redoute qu’un retour aux affaires des socialistes français ne donne des ailes au SPD. C’est exactement ce qu’a promis François Hollande à ses « camarades » allemands, en décembre à Berlin, lors de leur congrès.
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