Grèce : la BCE ne veut pas prendre ses pertes

 

 

 

Alors que les négociations sur la restructuration (« volontaire ») de la dette grecque entrent dans leur dernière ligne droite, une question n’a toujours pas été tranchée : les créanciers publics doivent-ils eux aussi renoncer à une part de leurs créances ? Car même si les créanciers privés (banques, assurances, hedge funds, etc.) acceptent une perte de plus de 50 %, la dette grecque ne sera ramenée que d’environ 350 milliards d’euros (160 % du PIB) à 250 milliards d’euros, soit une diminution de seulement 28,5 %. Même s’ils consentent à un effort supplémentaire, les créanciers privés ne pourront guère aller plus loin et surtout l’effet sur la dette grecque risque d’être marginal. Or, il faut savoir qu’une partie des obligations grecques est détenue par la Banque centrale européenne (BCE), des banques centrales et autres institutions officielles de pays tiers (38 milliards), le fonds grec de sécurité sociale (30 milliards d’euros), le FMI (18 milliards), etc..
 

Pour sa part, la BCE a racheté, depuis mai 2010, dans le cadre de son programme appelé « securities markets programme » (SMP), environ 55 milliards de dettes grecques sur le marché secondaire (celui de l’occasion), selon l’estimation de Stéphane Déo, économiste en chef d’UBS (la BCE ne détaille pas ses achats pays par pays). Plusieurs capitales de la zone euro estiment que la BCE devrait participer à la restructuration de la dette grecque afin d’alléger d’autant le fardeau et le rendre supportable. Le Fonds monétaire internationale (FMI), dont les prêts sont seniors, donc prioritaires, à la différence de tous les autres prêteurs (sauf le Fonds européen de stabilité financière, FESF), les soutient. Il faut dire qu’il a intérêt, avant de remettre au pot grec, que la charge de la dette soit au maximum allégée afin de dépenser le minimum d’argent. Mais, pour l’instant, la BCE refuse mordicus de prendre une tôle, car cela reviendrait à reconnaître que le SMP est un instrument servant à effectuer des transferts financiers au profit des pays en difficultés, ce qui passera difficilement en Allemagne.

Cela étant, l’institut de Francfort n’a pas acheté la dette grecque à sa valeur faciale, mais, toujours selon Déo, à environ 70 % du pair, soit un coût total de 38,5 milliards d’euros. « Il est tout aussi choquant que la BCE garde jusqu’à l’échéance des titres qu’elle a rachetés à 70 % de leur valeur nominale et se fasse rembourser à 100 % grâce à l’argent du secteur privé et de l’Union européenne », souligne un diplomate français. Surtout, en refusant de participer à la restructuration, la BCE indique qu’elle considère que les titres qu’elle possède sont seniors ce qui risque de déclencher des ordres de vente en rafale, les investisseurs se désengageant des pays jugés à risque (Portugal, Espagne, Italie), car ils sauront alors qu’ils seront les seuls à supporter les risques.

Si la BCE accepte d’amener ses titres à l’échange, sa perte serait comprise, toujours selon l’économiste d’UBS, selon la décote retenue, entre 16,5 milliards et 22 milliards d’euros (c’est cette somme qui correspondrait à un transfert au profit d’Athènes). Mais, en réalité, elle serait infiniment plus limitée, car Francfort gagne actuellement de l’argent avec les obligations irlandaises, espagnoles, portugaises et italiennes (12 milliards d’euros) et sur les opérations massives de prêts accordés aux banques commerciales (900 milliards d’euros à 1 %, ça rapporte environ 8 milliards d’euros par an – il faut déduire les frais…). Mises bout à bout, toutes ces sommes ramènent la perte nette à 2,25 milliards d’euros, selon Stéphane Déo.

Une autre possibilité, évoquée par la France, afin de ne pas choquer les Allemands ce qui risque de remettre en cause le SMP, serait que la BCE revende ses obligations au gouvernement grec à leur prix d’achat grâce aux prêts européens, ce qui limiterait sa décote.

Un dernier problème est actuellement passé sous silence : le prêt de 80 milliards d’euros (plus 30 milliards du FMI) accordés en mai 2010 sous forme de prêts bilatéraux est assorti d’un taux d’intérêt punitif qui est quasiment le double de celui du FESF (qui n’existait pas encore). C’était l’époque où Berlin voulait punir les Grecs et exigeait donc un taux proche de celui des marchés. Autrement dit, il contribue à accroitre mécaniquement le déficit et donc la dette grecque. Ironique, non ? Chacun convient donc qu’il faut le diminuer afin de donner toute sa portée aux sacrifices du secteur privé, mais cela nécessite de repasser devant les seize parlements nationaux qui ont voté l’aide (la Slovaquie s’est désistée au dernier moment).